L’annonce de la maladie incurable
Nous sommes en décembre 2017 et Marco a fait des examens médicaux. Il veut me voir rapidement, et même aujourd’hui.
Marco parle gras, avec un accent parisien et c’est un plombard. Il est de l’ancienne éducation et d’une génération à laquelle on obéit. A mon arrivée, Marco est direct, comme d’habitude
:
« Salut, ça va, café ? Faut qu’on cause ».
Je me suis assise. Et ses mots sont terribles. Une immense peine m’envahit. La colère aussi. Et la peur, la peur de le voir partir à jamais. Et mes yeux pleurent. Pourquoi lui ?
Marco aussi pleure alors qu’il essaie toujours de se montrer comme un homme dur . Et je ne me rappelle pas le goût du café ce jour-là.
Il a reçu l’information mais je ne sais pas s’il me dit tout…
Oui, il est atteint d’une maladie incurable et le temps est compté. Il veut mon aide pour mettre tout l’administratif à jour (et rapidement !) et il va se battre pour faire mentir
l’oncologue. Je souris à cette phrase, car ça, c’est du Marco tout craché.
Ce jour-là, ma formation en accompagnement de fin de vie m’a permis d’écouter mais… je suis repartie vidée.
Les jours qui suivent seront bouclés avec ses directives anticipées, la personne de confiance, son testament et tous ses papiers mis à jour. Et là, je vous assure, Marco et les papiers, c’est terrible.
Vivre malgré la maladie incurable
Si je témoigne ici, c’est pour vous dire que malgré la maladie incurable de mon ami de cœur, nous avons vécu de très belles semaines entre rires et pleurs, des moments magiques, mais aussi des coups de « gueule » comme il disait.
Marco disait toujours « avec tout ce que je me suis mis dans la gueule, je suis résistant ». Il m’énervait à dire cette phrase. Maintenant je souris quand j’y pense.
Il a râlé tout au long du traitement, enfin particulièrement avec moi. Parce qu’avec ses potes, il râlait mais pas de la même manière. Et surtout il jouait toujours de la basse, il avait la main verte et allait toujours taquiner le poisson au Lac de Saint Cassien. Il adorait la pêche pour le calme retrouvé.
Depuis l’annonce de sa maladie, il vivait au jour le jour et il réglait petit à petit ses affaires. Sa plus belle réussite a été de retrouver son frérot qui lui manquait terriblement et de resserrer les liens d’amour avec sa petite maman, sans rien lui dire pour la protéger, et sa sœur.
Je n’ai jamais jugé Marco, il était comme ça et c’est comme ça que je l’adorais. Mais souvent je lui ai dit « tu m’énerves » et il me répondait systématiquement par un « toi aussi ».
Ces moments de vie sont gravés en moi car Marco était gravement malade mais… il était VIVANT.
La position difficile de la personne de confiance
Je suis devenue sa personne de confiance en toute connaissance de cause, je suis son amie de cœur et je ne suis pas de sa famille.
La place de personne de confiance est difficile car j’allais devoir confirmer les volontés de Marco alors qu’il ne peut plus s’exprimer et que ses directives anticipées restent introuvables
pendant plusieurs jours.
Marco ne voulait pas être maintenu de manière artificielle, il ne voulait pas rester dans un état végétatif et il voulait être propre.
Quelles que soient les volontés de Marco, seules ses volontés comptent et personne ne peut juger, ni décider à sa place. Son médecin traitant confirmera les directives anticipées de Marco.
J’allais aussi me sentir mal face à certaines personnes, des proches et des amis parce que mon rôle en tant que personne de confiance était aussi de :
● surveiller que certains amis, par bienveillance, ne le fassent pas boire alors que Marco ne peut plus déglutir,
● expliquer la nécessité de respecter Marco quand ils sont dans la chambre. Marco est vivant et il entend (même si personne n’en a la preuve),
● écouter leur peine qui me ramène à la mienne.
Les derniers instants de Marco
Nous sommes en juillet 2019. L’état de santé de Marco s’est détérioré très vite. Il est transféré aux urgences puis en service d’hospitalisation. Il ne peut plus communiquer avec moi mais je sais qu’il m’entend. Alors comme promis, il ne sera pas seul.
Le corps médical a accepté, vu l’état de Marco, que e reste la nuit près de lui. Quelques jours après, Marco est transféré en service de soins palliatifs dans lequel il va trouver le calme et moi aussi.
Sa maman, sa sœur, son frère, sa fille sont arrivés et se relaient dans la journée près de lui. Moi, le soir, je rejoins Marco. Marco est vivant, inconscient mais il est là. Je repars le lendemain matin vers 6h30 pour laisser place aux professionnels de santé. Leur empathie, leur écoute bienveillante et leur dévouement pour les patients sont extraordinaires et ils sont présents pour les familles. Marco s’éteindra en août 2019.
Ce jour-là, j’ai perdu mon ami de cœur et cet accompagnement de fin de vie a été difficile pour moi. Mais de tous les accompagnements, il a sans aucun doute été le plus beau. A l’image de Marco, vivant jusqu’au bout.